Consultation sur la révision partielle de la LHand

Berne, 29 mars 2024

Madame la Conseillère fédérale, Madame Elisabeth Baume-Schneider,

Mesdames et Messieurs,

Je vous écris ce courrier afin de partager avec vous mes observations concernant la consultation sur la révision partielle de la loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand), conformément à la loi fédérale sur la consultation (LCo 172.061), qui stipule que "toute personne ou organisation peut participer à la consultation et exprimer un avis". 

En tant que personne sourde de naissance, je me suis battu afin de réussir mon cursus académique et d’obtenir des diplômes d'études supérieures qui m’ont également, par la suite, permis d’accumuler de l'expérience professionnelle. De surcroît, j'ai été candidat aux élections du conseil national pour le canton de Berne en octobre dernier. Aujourd’hui, je me positionne comme le porte-parole de l'ensemble des personnes sourdes et malentendantes, une population très peu représentée en Suisse dans le contexte des études supérieures (universités, hautes écoles, EPF). Comme beaucoup d'entre elles, je peux témoigner des obstacles auxquels nous sommes confrontés dans divers aspects de la vie, en grande partie en raison des restrictions imposées par la Confédération, les cantons et les organismes publics (AI, par exemple) en matière d'interprétation appropriée aux besoins des personnes sourdes et malentendantes. Pour précision, les moyens d’interprétation vont des interprètes en langues des signes, de la retranscription écrite en passant par les interprètes-codeurs de la langue parlée complétée (LPC) ou encore d’autres moyens que je ne peux énumérer ici.

Ces barrières linguistiques entravent particulièrement notre accès à des postes de cadre supérieur, à des professions libérales ou à des emplois indépendants. Ces difficultés sont principalement dues aux limites financières qui régissent le financement d’interprétation sur le lieu de travail. Cela ne représente que 90 à 110 heures d'interprétation en langue des signes par an, soit environ 10 heures par mois en moyenne, une allocation qui est clairement insuffisante pour répondre à nos besoins professionnels. Ce montant annuel fixe est attribué à toutes les professions, qu'il s'agisse de travailleurs manuels tels que les paysans, les menuisiers ou encore les artisans en général, ou de professions libérales telles que les architectes, les managers et les scientifiques. Dans les professions manuelles, l'utilisation d'interprètes est en général plus rare. En revanche, dans les professions libérales et indépendantes, les besoins sont beaucoup plus importants en raison des nombreuses rencontres, contacts ou séances de travail. Avec 10 heures par mois en moyenne, vous comprendrez qu’il est tout simplement impossible de faire des heures au-delà pour s’investir dans les relations avec les collègues, les clients, le public ou les milieux importants en fonction de leur métier, cela engendrerait des coûts importants qui ne seraient alors pas pris en charge par l’AI. Malheureusement, le montant annuel alloué s'épuise rapidement, laissant les personnes sourdes et malentendantes confrontées à des difficultés supplémentaires pour accéder à une interprétation adéquate sur leur lieu de travail. Ce manque de financement nuit aux entreprises et ses conséquences sont clairement néfastes sur les postes de travail. Sans compter que les heures relatives à d’éventuelles rencontres organisées par les RH par exemple ou une simple recherche d’un nouvel emploi avec entretien sont également déduites de ce quota annuel, ce qui rend les choses encore plus compliquées.

Il est extrêmement regrettable que la loi fédérale sur l'égalité des personnes handicapées, entrée en vigueur en 2004, se limite à garantir l'inclusion sur le lieu de travail, principalement dans l'administration fédérale, sans couvrir le secteur public, parapublic et privé. Cette lacune restreint considérablement l'accès des personnes handicapées au marché du travail en Suisse. Même avec la révision partielle de cette loi, vingt ans après son entrée en vigueur, les améliorations apportées ne sont pas suffisantes. Bien qu'elle élargisse les incitations pour encourager les employeurs à embaucher des personnes handicapées, surtout des personnes sourdes et malentendantes, elle néglige totalement la question cruciale de l'interprétation appropriée (langue des signes, langue parlée complétée, retranscription écrite, etc.) sur le lieu de travail. Cela a conduit à des situations où de nombreux employeurs ont exprimé leur volonté de m'embaucher, mais ont finalement renoncé en raison des contraintes financières liées au financement de l'interprétation, contraintes imposées par le plafond établi par l'AI. Ces expériences témoignent de la discrimination persistante à laquelle les personnes sourdes et malentendantes sont confrontées sur le marché du travail.

Quant à l’article 12, alinéa a) concernant les aménagements raisonnables, cet article est nuancé puisqu’il ne figure pas l’interprétation appropriée.

L'article 12, alinéas b) et c) reconnaissant les langues des signes et leur promotion, ne prévoit pas de mesures concrètes pour éliminer les inégalités frappant les personnes sourdes et malentendantes, en particulier dans le milieu professionnel, lors de l’engagement du personnel. Le soutien financier, le financement et les mesures concrètes encourageant la participation des interprètes ne sont pas mentionnés dans la révision partielle de la LHand. C'est pourquoi les employeurs hésitent à engager des personnes sourdes et malentendantes, cherchant ainsi à contourner les sanctions en cas de discrimination. L'article 13 concerne les mesures dans le domaine du personnel de l'administration fédérale.

En vertu de l'article 6a, alinéas 1 et 2 concernant les rapports de travail, au nom de la représentation des personnes sourdes et malentendantes ayant obtenu des diplômes d'études supérieures, exerçant des fonctions supérieures ou libérales et travaillant de manière indépendante, nous souhaitons que les questions relatives à la participation des interprètes et au financement continu sans limitation, au-delà d'un montant annuel fixé par l'AI soient révisées et que des solutions soient apportées pour répondre aux besoins des professionnels sourds et malentendants sans discrimination sur le lieu de travail, en particulier en matière de communication. Le temps d'interprétation (langue des signes, langue parlée complétée, retranscription écrite) ne doit plus être limité, de même que le financement.
Les questions relatives au financement des interprètes doivent également être réexaminées. Chaque année ou toutes les cinq années, chaque personne sourde et malentendante doit faire une nouvelle demande à l’AI pour obtenir un financement pour l’interprétation. Cela demande un effort supplémentaire pour prendre le temps de faire les démarches administratives afin d'obtenir l'approbation de l’AI. Il est essentiel de savoir si la révision partielle de la LHand établira un lien clair avec les prestations de l’AI, y compris les services d’interprétation.

Il est crucial que les personnes sourdes et malentendantes aient le droit d'exercer des fonctions libérales ou un travail indépendant avec le financement des interprètes, sans être discriminées par des limitations d'interprétation sur le lieu de travail. C’est là une question d’égalité des chances.

En ce qui concerne la participation à la vie politique, il manque des mesures incitatives au financement d’interprétation appropriée (langue des signes, langue complétée parlée, retranscription écrite), notamment lors des campagnes électorales, des débats politiques et des interviews. Lors des élections fédérales en octobre 2023, j'ai moi-même dû mener une action de crowdfunding pour récolter 15'000 francs uniquement pour financer des interprètes pendant ma campagne électorale. En tant que citoyen, je souhaite mettre en lumière cette inégalité. Aucune mesure inclusive concernant la participation des personnes sourdes et malentendantes à la vie politique n'est prévue dans la révision partielle de la LHand.

En conclusion, je ne soutiens pas de manière absolue la révision partielle de la LHand qui manque de mesures concrètes en ce qui concerne l'interprétation appropriée en faveur de la pleine inclusion des personnes sourdes et malentendantes dans tous les domaines de la vie, notamment sur le lieu de travail, la formation continue, l'accès aux soins, à l'information publique et à la participation à la vie politique et publique. 

Enfin, je souhaite terminer en mettant en exergue les points qui nécessitent une attention particulière :

1.     Financement d’interprétation :

Les restrictions actuelles concernant le financement des interprètes sur le lieu de travail, telles que décidées par l'AI, entravent considérablement l'accès des personnes sourdes et malentendantes à l'emploi et à une participation pleine et entière dans la vie professionnelle. Il est impératif de revoir ces montants afin de répondre de manière adéquate aux besoins des travailleurs sourds et malentendants. La nouvelle révision de la LHand ne spécifiant pas clairement l'entité responsable du financement de l'interprétation, il est nécessaire de clarifier ce point et d'intégrer la question du financement dans la révision partielle de la LHand.

2.     Inclusion dans tous les secteurs professionnels :

La révision de la LHand devrait également viser à garantir une inclusion efficace des personnes handicapées dans tous les secteurs professionnels, y compris les professions libérales et les postes de cadre supérieur. Cela nécessite des mesures spécifiques pour surmonter les obstacles linguistiques et assurer un accès équitable aux opportunités d'emploi.

3.     Participation à la vie politique et publique :

Les personnes sourdes et malentendantes doivent bénéficier d'un accès équitable à la participation à la vie politique et publique, notamment en ce qui concerne la disponibilité d'interprètes lors des campagnes électorales, des débats politiques et des événements publics. Des mesures concrètes doivent être prises pour garantir cette participation active et démocratique.

En conclusion, je vous demande de prendre en considération ces points dans le cadre de la révision partielle de la LHand. Il est essentiel de veiller à ce que cette législation soit véritablement inclusive et réponde aux besoins variés des personnes handicapées en Suisse. Au nom de la représentation, je vous prie de réexaminer tous nos besoins quotidiens en matière d'interprétation appropriée (langue des signes, langue parlée complétée, retranscription écrite) dans la révision partielle de la LHand. Je vous rappelle que l’article 8 de la Constitution fédérale interdit la discrimination frappant toute citoyenne et tout citoyen, même une personne vivant avec un handicap. Malheureusement, comme d’autres personnes sourdes et malentendantes, j’ai subi trop de discriminations et j’en subi encore au quotidien. C’est pourquoi je vous invite à respecter ces droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution fédérale et dont le Conseil fédéral est le garant.

Je vous prie, Madame la Conseillère fédérale, Madame Elisabeth Baume-Schneider, Mesdames et Messieurs, d'agréer mes salutations distinguées, au nom de la représentation.

Christian Gremaud

Weiter
Weiter

Journée internationale des personnes handicapées (et éventuellement de l'inclusion ?)